L’asile politique accordé à Saida Agrebi :Un fait loin d’être divers

L’asile politique accordé à Saida Agrebi :Un fait loin d’être divers

«La Tunisie est un pays modèle présentant une approche qui combine le meilleur de la tradition islamique d'accueil des réfugiés avec le cadre institutionnel d'un Etat démocratique moderne» disait, le 6 mars 2012,  le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Antonio Guterres, au terme de son entretien avec le ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem. Le sieur Guterres ne pouvait pas imaginer un instant, en vantant les vertus de la Tunisie «  Etat démocratique moderne», que viendrait un jour où la France accorderait l’asile  à un citoyen de cet « Etat démocratique moderne».

Accorder l’asile, dit politique, à Saida Agrebi aurait pu être un fait divers n’eut été la portée combien lourde de la décision française pour la Tunisie. Commençons par dire que la législation française en matière d’asile découle tout droit des principes du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés qui stipulent que le seuil des persécutions, visant une personne, est atteint quand devient "intolérable la continuation de la vie dans le pays d'origine" de la personne en question.

Le 6 mars 2012 Antonio Guterres mentait ou se trompait lourdement d’analyse voire de pays. Ou alors c’est la France qui se trouverait, aujourd’hui, dans cette espèce de porte-à-faux rendant si instable l'assise de sa diplomatie. Peu vraisemblable. Et si le mal est en cet Etat qui promettait d’être si démocratique et si moderne ?

Un mal ? Oui, c’en est bien un. Pour en mesurer la portée il faudrait lire la littérature française quant à l’octroi de l’asile. Si vous êtes demandeur d’asile l’évaluation de votre dossier ne se fonde  pas uniquement sur votre situation personnelle, mais c’est «l’administration française qui tiendra compte de la situation concrète dans votre pays d'origine ». Il faut entendre par « Administration » l’Etat français. Et c’est justement là que le cas Saida Agrebi cesse d’être un fait divers ou une affaire personnelle.

Au nombre de motifs invoqués justifiant le caractère « intolérable de la vie » au  pays d’origine du demandeur figurent, entre autres, les pressions policières constantes, la détention prolongée ou répétée, les arrestations sans fondement, les mauvais traitements ou les tortures, les persécutions en raison de la  race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un certain groupe social ou en raison des opinions politiques…La liste est longue et les choix douloureux...

Pire encore. Dans la pratique française, mais internationale également, il est de coutume de retirer l’asile aux bénéficiaires dont les pays sont considérés en voie de transition démocratique. Dans un rapport du Sénat français, intitulé la transition inachevée, publié en 2005 concernant l’entrée de la Bulgarie à l’Union Européenne, il était reproché aux autorités bulgares des déficiences quant à « la lutte contre les réseaux de criminalité organisée, la lutte contre la fraude et la corruption, la lutte contre le blanchiment des capitaux, et enfin la consolidation du contrôle financier en vue de l'utilisation alors à venir des fonds structurels et de cohésion ».

Le traité de Luxembourg de 2005, ayant finalisé l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’UE en 2007, cite trois domaines relatifs à l'économie en général, au marché intérieur et au domaine dit « Justice et affaires intérieures ». Les carences dans ces domaines sont considérées  graves. Economie, marché intérieur et justice !

Si au vu des reproches faits aux Roumains et aux Bulgares le verdict du Sénat français était « la transition inachevée », qu’en serait-il pour nous Tunisiens ?

D’aucuns, imbus d’eux-mêmes et refusant de regarder la dure réalité, pourraient sous-estimer les conséquences de pareils « bavardages ». Les choses sont bien plus sérieuses.

A regarder de plus près, l’on verra un désaveu, pour le moins européen, se profiler à l’horizon. Un désaveu quant à d’éventuelles extraditions de Tunisiens accusés, à tort ou à raison, de malversations. Un désaveu quant au rapatriement de biens des « Azlems » exigés par la Tunisie. Un désaveu quant à la justice transitionnelle, quant aux aides et crédits accordés sur la foi d’une transition démocratique dont le crédit est en perte de vitesse, un désaveu quant au sérieux de l’Etat, tous azimuts, sur la scène internationale…

Sommes-nous pris au sérieux ? Pas vraiment. De l’euphorie de 2011 où l’Europe nous a promis monts et merveilles, en passant par 2012 où la Tunisie est reconnue partenaire privilégié de l’UE jusqu’à 2015 date à laquelle l’Europe a proposé à la Tunisie un train de mesures à concrétiser par l’entremise de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), rien de consistant n’a été réalisé.

En avril dernier, le coup d’envoi du premier round sur l’ALECA est ouvert. Quatre jours durant, du 18 au 21, la conclusion du PV des réunions donne à se contorsionner: « Les parties ont convenu de continuer l’échange d’informations sur certaines dispositions et mécanismes prévus dans ce chapitre pour en assurer la cohérence avec le reste des chapitres de l’accord d’une part et la réglementation nationale liée à ces domaines d’autre part. »

Traduction du Professeur Radhi Meddeb : le démarrage des négociations sur l’ALECA « devrait donner un contenu effectif au statut de partenaire privilégié, annoncé depuis novembre 2012…Or, depuis trois ans et demi, peu de progrès ont été accomplis en la matière. ». Le député Riadh Jaïdane, quant à lui, a appelé le gouvernement, en mars 2016, à «suspendre et reporter les négociations sur l’ALECA», en mettant en évidence « l’absence d’une vision claire et d’une stratégie nationale » suite à l’intervention du Chef du gouvernement de l’époque à propos du sujet.

Que reste-il des propos du sieur Guterres sur « l’Etat démocratique moderne» ? Comment un Etat censé véhiculer la démocratie et la modernité, servi par des gouvernements à n’en plus finir, peut-il essuyer de si nombreux camouflets allant de la négociation d’un cas de libre circulation à la négociation d’un accord si vital pour le pays, s’il est bien négocié ?

 

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