Saïed au Sommet UE-UA : Une diplomatie au rabais ? la Tunisie mérite mieux que ça !

Saïed au Sommet UE-UA : Une diplomatie au rabais ? la Tunisie mérite mieux que ça !

 

Le président de la République Kaïs Saïed s’est envolé à Bruxelles pour prendre part au Sommet Union Européenne-Union Africaine prévu les 17 et 18 février. Il semble que le chef de l’Etat a beaucoup hésité avant de confirmer sa participation annoncée d’ailleurs à la dernière minute. Faudrait-il s’en plaindre ? Evidemment qu’il faudrait s’en féliciter dans la mesure où notre pays a plutôt brillé ces dernières années par une absence, devenue la règle au plus haut niveau dans les grands rendez-vous continentaux ou internationaux.

Il est néanmoins évident que nos frères africains n’apprécieraient pas que le président tunisien snobe le Sommet de l’Union Africaine qui s’est tenu récemment à Addis Abeba, siège de l’organisation panafricaine et prend part dans la foulée au Sommet UE-UE tenu dans la capitale de l’Europe, à quelques jours d’intervalle. Certains de ses pairs y verraient un mauvais message adressé aux pays africains surtout que l’initiative du Sommet de Bruxelles revient à la France qui préside actuellement l’ensemble européen et qui n’est pas en odeur de sainteté dans les pays de l’Afrique occidentale. Paris est d’ailleurs sur le point de se replier du Mali où elle maintenait une importante présence militaire pour combattre le djihadisme islamiste dans le Sahel africain. D’ailleurs un fort sentiment anti-français est en train de se développer dans cette zone dont il nous faut tenir compte dans nos rapports avec les pays du continent africain particulièrement dans la zone occidentale avec laquelle nous avons les relations les plus suivies.

L’absence du président tunisien du Sommet d’Addis Abeba était d’autant plus remarquée que la Tunisie s’apprête à accueillir deux conférences importantes dont l’Afrique est partie prenante, à savoir le Sommet de la Francophone prévu dans l’Ile de Djerba en principe en novembre prochain et la  8ème  Conférence  TICAD dédiée à la coopération entre le Japon et le Continent africain dont la date vient d’être fixée à la fin du mois d’août prochain. Si la Tunisie espère une participation massive et de très haut niveau à ces deux conférences majeures, la présence du chef de l’Etat tunisien aux rendez-vous africains est la moindre de ce qu’il peut faire comme efforts pour inciter ses homologues africains à venir en Tunisie. Les chefs d’Etat africains mesurent l’intérêt envers le continent par le niveau de la présence de tout Etat à leurs assises continentales annuelles.

Mais au-delà de la présence elle-même qu’avons-nous préparé pour le Sommet UE-UA qui se tient à Bruxelles. Certes, le thème central est : « Afrique-Europe : deux continents avec une vision commune pour 2030 », mais les questions qui relèvent de l’ambition affichée de refonder la relation entre les deux continents sont multiples et variées. Il ne nous faudrait pas évidemment se focaliser sur la question lancinante des migrations irrégulières en affirmant comme à l’accoutumée que le règlement sécuritaire et la surveillance des frontières maritimes n’y feraient rien. Il n’y a pas de solution à ce problème récurrent que par le développement des pays africains pour qu’ils soient capables de retenir leurs nationaux et de leur procurer les moyens du bon-vivre. Mais si l’on proclame comme le fait Kaïs Saïed que des sommes d’argent faramineuses consenties par des pays ou des institutions tiers sont détournées et servent la corruption devenue le mal absolu, il ne faut pas s’attendre à ce que l’Europe accoure pour nous aider. Elle y sera d’ailleurs dissuadée. Et ce d’autant plus que pour le cas de la Tunisie on fait prolonger plus que de raison la période d’exception dans laquelle le président de la République s’arroge tous les pouvoirs. Un pays sans Parlement et sans autorité judiciaire indépendante n’est pas fiable. Du reste le Haut Représentant aux affaires étrangères et à la sécurité de l’UE Josep Borrell n’a pas mâché ses mots en indiquant que l’Europe pourrait décider d'arrêter l'aide macro-financière à la Tunisie, jusqu'au retour à la normalité démocratique.

Pour préparer le Sommet de Bruxelles la présidente de la Commission Européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen, a annoncé depuis Dakar où elle s’était rendue du fait que le Sénégal présidait l’Union Africaine, que l’UE devrait mobiliser plus de 150 milliards d’euros d’investissements en Afrique sur la période 2021-2027. Une somme qui est loin d’être négligeable, estime-t-on mais elle est loin de couvrir les besoins du continent ne serait-ce que pour surmonter les effets de la pandémie du covid-19. En accédant à la présidence de l’organisation panafricaine, le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, rappelait que « l’Afrique a besoin d’un financement additionnel d’au moins 252 milliards de dollars [221 milliards d’euros] d’ici à 2025 pour contenir le choc de la pandémie et amorcer sa relance économique », rappelle-t-on.

A cet égard, il y a lieu de s’interroger sur la quote-part de la Tunisie de cette manne financière, ou bien serions-nous acculés à attendre un argent qu’il ne viendra pas si toutefois, l’UE mettra ses menaces proférées par Josep Borrell à exécution comme indiqué plus haut.

Evidemment l’Europe n’a pas convoqué ce sommet pour les beaux yeux de l’Afrique. D’ailleurs on ne cache pas l’initiative européenne de tenir ce sommet avec l’Afrique s’inscrit dans le cadre du projet Global Gateway (« portail mondial ») que la Commission de Bruxelles met en place à l’échelle mondiale afin de concurrencer l’offensive chinoise des « nouvelles routes de la soie ». « Depuis 2013, Pékin investit massivement dans les infrastructures pour asseoir son influence, en Afrique notamment, riche en matières premières convoitées, ou déjà tombées dans l’escarcelle chinoise » relève-t-on de manière tout à fait claire.

La Tunisie est-elle prête à s’inscrire dans cette logique, au moment où les dirigeants africains appellent à ce que l’Afrique prenne en main son propre destin pour ne pas faire de la figuration dans cette compétition dans laquelle la Chine a pris des longueurs d’avance du fait du trop peu d’empressement de l’Europe ainsi que du legs peu reluisant de l’héritage colonial de pays du vieux continent en Afrique.

La participation du chef de l’Etat tunisien au sommet UE-UA est sans conteste un pas positif de la diplomatie tunisienne qui s’est montrée ses derniers mois atone et quelque peu timorée. Même l’héritage légué par le défunt président Béji Caïd Essebsi et son ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui a été dilapidé. On rappelle qu’à l’époque, la Tunisie présidait le Sommet arabe, avait été élue membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et avait été choisie pour abriter le Sommet de la Francophonie qui rassemble plus de 80 pays répartis sur les cinq continents.

Tout cela n’a servi à rien ou presque Ainsi, la Tunisie parait plus que jamais totalement désintéressée des problèmes du monde arabe et des crises lancinantes qui le secouent. Le bilan du mandat au conseil de sécurité, pour mitigé qu’il ait été n’a pas permis à notre pays de reprendre une place privilégiée dans le concert des nations, loin s’en faut. Quant au Sommet de la Francophonie, il a été ajourné d’une année et rien ne permet de dire s’il aura lieu à la nouvelle date fixée car celle-ci coïncide avec la campagne des élections législatives anticipées prévues pour le 17 décembre prochain selon le calendrier annoncé par le président Kaïs Saïed.

Si on ajoute à tout cela que plusieurs missions diplomatiques et consulaires, parfois de premier plan n’ont pas été pourvues, puisque le mouvement des chefs de missions de l’année 2021 n’a pas eu lieu et que le personnel diplomatique est toujours en attente d’un nouveau statut, l’actuel datant de plus de 30 ans ainsi que d’une couverture médicale qui n’est pas encore assurée, la situation n'est pas brillante..

Il fut un temps où la Tunisie brillait par sa diplomatie et par ses diplomates de qualité, mais il est à craindre que ce temps soit révolu. Notre pays ne mérite pas la diplomatie au rabais qu’elle est en train de subir à son corps défendant.

RBR

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