Tunisie: Quand les Magistrats font de la politique
Le 6 Décembre 1946, une brochette d’éminents magistrats tunisiens, pères fondateurs de la magistrature tunisienne moderne, ont crée une association
baptisée « Amicale des Magistrats Tunisiens » afin de militer pour l’indépendance de la magistrature et la non-ingérence de l’exécutif dans ses missions, pour l’égalité entre les magistrats Tunisiens et les magistrats Français, (certaines affaires sensibles étaient confiées exclusivement à des magistrats français) et pour paver le terrain de la lutte pour une Tunisie indépendante et souveraine.
La présidence de cette noble institution a été confiée, pendant plusieurs années au Magistrat Feu Sidi Mohammed Ben Ammar, connu pour être « aussi sage que savant » dixit le célèbre journaliste français Géo London dans un article « Critiques Judiciaires » paru dans le premier quotidien français « France-Soir ».
Cette institution a, en outre, rédigé le fameux manifeste adressé au ministre français des affaires étrangères pour protester contre les événements de 1952, ainsi que contre la circulaire qui touchait de plein fouet à la souveraineté tunisienne et à la dualité de la magistrature.
Ces braves magistrats faisant, aussi, partie du comité des « sages quarante » qui avaient institué sur les accords tuniso-francais concernant l’autonomie interne de la Tunisie et ont finalisé la rédaction de la constitution de 1956 qu'a présentée, devant l’assemblée constituante le président feu Mohammed Ben Ammar, ou siégeaient H.Bourguiba et S.Ben Youssef.
Durant les premières années de l’indépendance, Bourguiba conscient de la puissance de cette association et de son hégémonie sur les magistrats tunisiens ; n’avait ménagé aucun effort afin de la diviser en mettant à la retraite anticipée plusieurs magistrats. Hélas pour lui, la grande cohésion du corps judiciaire et leur courage légendaire a fait de sorte que ladite association puisse survivre à toutes les tentatives de saper son unité et intégrité qui constituent sa principale force.
Derechef, durant, le gouvernement de Ben Ali, qui voulait compléter la besogne inachevée de Bourguiba, a vu tous ses efforts se solder par un échec cuisant, et ce, encore une fois, grâce à l’unité des magistrats et à leur indéfectible cohésion.
La révolution de la dignité du 14 Juillet 2011, dont une des principales revendications était l’indépendance de la magistrature, a permis à certains individus de saisir l’occasion afin d’affaiblir ladite association par la création d’un « syndicat des magistrats » ! Chose inadmissible qui ne ferait que fragiliser et affaiblir l’association, existante depuis 65 ans et rogner sa légitimité et saborder son indépendance, et de surcroît mettant en cause le principe même de la démocratie et ses trois pouvoirs, à savoir : L’exécutif, le législatif et le judiciaire !
Dans la même veine on devrait aussi créer « un syndicat du gouvernement » et « un syndicat de l’assemblée nationale », ce qui pousserait notre démocratie naissante sur la bordure dangereuse du populisme.
Bref, M. F.Rajhi, magistrat de son état, n’était pas fait pour la politique, technocrate qu’il est ! C’était une erreur dés le début, une fatalité sans exemple. Un magistrat ne doit jamais s’immiscer dans la politique au risque d’aviliser la noble mission qui lui est dévolue : c’est un principe quasi universel. Les conséquences sont patentes, nous en avons tous constaté les dégâts.
Par Dr. Farouk Ben Ammar