Ezzeddine Saidane: "La Tunisie n'est pas en faillite mais la situation est extrêment difficile"

 Ezzeddine Saidane: "La Tunisie n'est pas en faillite mais la situation est extrêment difficile"

 

Face à une économie nationale en situation d’hémorragie, l’économiste Ezzeddine Saidane estime nécessaire d’engager, d’urgence, un plan d’ajustement structurel. Lequel plan doit, en l’espace de 18 à 24 mois, assainir le corps économique affaibli par les années de crise et baliser le terrain à la mise en place des réformes indispensables.

Toujours selon lui, sauver l’économie prendra en tout 5 années, si volonté il y a de prendre notre sort en main, sans l’intervention d’aucune partie étrangère. Notons qu’Ezzeddine Saidane a été, dernièrement, reçu par le président de la République, auquel il a dressé un diagnostic détaillé de la situation économique et livré ses propositions pour un plan de relance de l’économie nationale.

Quelle lecture faites-vous de la donne économique et financière dans le pays ? Etes-vous d’accord avec ceux qui pensent que le pays est en état de faillite non déclarée ?

Il y a deux termes que je n’aime pas utiliser qui sont la faillite et l’effondrement. Je ne pense pas que la Tunisie soit en faillite ou que l’économie tunisienne soit en situation d’effondrement, mais je suis convaincu que la situation est extrêmement difficile et qu’elle le devient de plus en plus. Je résumerai tout cela en disant que l’économie tunisienne est en situation d’hémorragie, tous les indicateurs étant en train de se détériorer d’un mois à un autre et d’une année à l’autre.

Cette situation exige d’urgence un programme de sauvetage pour éviter d’arriver à une situation d’effondrement total de notre économie. Et là, je dois dire que nous avons largement dépassé la situation où quelques mesures isolées pourraient donner un effet positif.

Quels sont les indicateurs qui vous inquiètent le plus ? Personnellement, je pense que l’indicateur le plus grave c’est celui relatif à la dette car il compromet directement l’avenir et la souveraineté du pays. Aujourd’hui, la dette extérieure de la Tunisie a largement dépassé les 80% (86% du PIB à peu près). Sachant que le coût moyen de la dette extérieure est de l’ordre de 3 à 3,5%, il faut savoir que nous avons besoin d’une croissance entre 2,5 et 3% rien que pour payer les intérêts de la dette extérieure, sans parler du principal de la dette.

Outre la dette extérieure, l’indicateur de la dette publique qui englobe à la fois l’endettement extérieur et intérieur m’inquiète aussi. Depuis 2011, l’Etat s’est endetté de façon massive à l’intérieur, auprès des banques tunisiennes et ces dernières se sont refinancées par le mécanisme de la planche à billet auprès de la Banque centrale de Tunisie. Cette situation a généré de l’inflation, a impacté négativement la valeur du dinar mais elle a surtout largement compromis le niveau de liquidité dans le pays, au point où l’accès de l’entreprise au financement est devenu de plus en plus difficile, ce qui bloque la création de richesse et partant, la croissance.

L’autre ratio très inquiétant à mon avis, c’est celui de l’analphabétisme. Ce taux était ramené à 15% à un certain moment et voilà qu’il repart en hausse atteignant 19% actuellement, avec toutes les répercussions économiques et sociales que ce changement d’orientation pourrait générer (détérioration de la santé, augmentation du chômage, aggravation de la pauvreté…)

L’indicateur de l’inflation est aussi très dangereux. Atteindre 7,8% en juin 2018 et rester à 7,5% en juillet et août, traduit une situation d’inflation structurelle qui affecte tous les équilibres économiques et financiers du pays.

L’autre indicateur, tout aussi inquiétant, c’est celui de la balance commerciale dont le déficit a dépassé 12 milliards de dinars (12,160 milliards de dinars à fin août soit une augmentation de 20% par rapport à la même période en 2017), malgré une forte dépréciation du dinar et une récolte exceptionnelle d’huile d’olive et de dattes. La situation de la balance commerciale gravement déficitaire induit d’une manière mécanique un grave déficit de la balance des paiements.

C’est donc la porte grande ouverte à l’endettement extérieur excessif, qui servira en plus à la couverture des dépenses courantes. Les conséquences de cela sont des pressions de plus en plus élevées sur les réserves de change et le dinar.(Tap)
 

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