« Il faut sauver le soldat Jalloul »

« Il faut sauver le soldat Jalloul »

 

Néji Jalloul, le ministre de l’éducation a-t-il commis un crime de lèse-enseignant pour qu’il soit traité de tous les noms par des syndicalistes en colère ? Les slogans scandés devant le ministère de l’éducation national en cette journée de 30 novembre et qui ont suscité une massive indignation, écorneront à jamais l’image de leurs auteurs qui sont avant tout des éducateurs. Injures, grossièretés et ignominies proférées par des gens en colère qui n’honorent, en aucun cas, les instigateurs, pervers et fanatiques et ceux qui se cachent derrière.

Et comme si cette journée de colère ne suffisait pas pour « écorcher vif » Néji Jalloul, ce dernier a passé de mauvais moments à l’ARP où quelques députés remontés comme des « coucous » l’attendaient de pied ferme pour verser leur fiel contre lui.  Des critiques sous forme de réquisitoires ont abondé au point qu’un député de l’UPL, interrompu plusieurs fois dans son discours venimeux, a dû quitter l’hémicycle en dépit des supplications du président de la séance Abdelfettah Mourou.

Il est connu que toute réforme rencontre de fortes résistances et que vouloir réformer en profondeur l’éducation est un exercice ardu. Il est, également, connu qu’il est difficile pour un gouvernement de trouver un consensus autour de l’école. Avant Néji Jalloul, feu Mohamed Charfi avait essuyé la colère de plusieurs parties y compris le RCD au pouvoir. Il a même été taxé de renégat par le mouvement islamiste à l’époque qui s’est fendu d’un communiqué virulent publié au mois d’octobre 1989 et signé par l’actuel vice-président d’Ennahdha et de l’ARP Abdelfettah Mourou. Mais il a bataillé dur pour faire passer sa réforme qui a été marquée par une première dans les annales du parlement monocolore où 26 députés avaient voté contre cette réforme qui a été promulguée en juillet 1991. En France, Claude Allègre, le ministre de l’Education dans le gouvernement Jospin voulait, en 1997, s’attaquer au  «  mastodonte de l’Éducation nationale pour dégraisser le mammouth », mais il a jeté l’éponge face à la déferlante syndicale et se retirer définitivement de la vie politique.

Néji Jalloul « est un homme au caractère trempé », comme le qualifiait Jeune Afrique.  Grand débatteur, peu connu du grand public, il y a trois ans seulement, a été « recruté » par Béji Caid Essebsi alors président de Nidaa Tounes, peu de temps avant les élections législatives et présidentielles de 2014. Qualifié de « grande gueule », il a été lancé sur les plateaux de télévision pour contrer, parfois de manière virulente, les pourfendeurs de la modernité et les adeptes d’un fondamentalisme anachronique. Il ne manquait pas d’arguments qu’il puisait dans l’histoire dont il est l’un des spécialistes et il s’est illustré par  ses piques et ses calembours, parfois, agressifs à l’égard de ses adversaires politiques. Nommé ministre de l’Education dans le gouvernement Essid, il s’est de suite attaqué aux failles du système éducatif. Avec son franc-parler et sa fermeté, parfois exagérée, il   veut proposer des remèdes pour sortir l’école de la spirale de l’échec. Il a un projet pour une refonte du système éducatif, un projet ambitieux pour « réduire les matières abrutissantes, et revenir aux fondamentaux, à savoir lire, écrire et se cultiver ». Sa gestion et ses annonces dans les médias, où il ne ménage pas de ses critiques les enseignants, ont conduit à une opposition croissante des syndicats, pourtant partenaires dans la réforme de l’éducation. Ils dénoncent le choix des termes qu’ils considèrent comme dévalorisants pour les enseignants. Quand il aborde les questions qui fâchent, Monsieur « grande gueule » suscite une levée de boucliers.  Les statistiques qu’il annonce concernant l’absentéisme, les congés de maladie fictifs qui ont coûté « 100 millions de dinars en 2015 », sa croisade contre les cours particuliers, ses décisions et ses contre décisions, tout cela a fini par faire douter de son projet.

Reconduit dans le gouvernement d’union nationale, Néji Jalloul, dont le nom avait pourtant circulé pour le présider, se trouve, actuellement,  pratiquement seul au milieu de ce tumulte. Il a été, parfois, obligé de faire des concessions et de reculer devant la grogne des enseignants soutenus par les élèves. On lui reproche sa précipitation à prendre des mesures et des décisions sans en prévoir les conséquences.  On lui reproche, également, sa présence quasi continue dans les plateaux radiotélévisés comme pour soigner son image, boosté qu’il est par les sondages qui le placent en tête des personnalités préférées des Tunisiens.  De l’ambition, il a à en revendre. Même s’il ne cesse de répéter que la seule qui, pour le moment, en vaut la chandelle est celle de la réforme de l’éducation.

Néji Jalloul a dû commencer à se douter de plusieurs choses, esseulé qu’il est au milieu d’un terrain marécageux. A part quelques députés de Nidaa Tounes qui l’ont défendu face à la furia de certains de leurs collègues à l’intérieur de l’hémicycle, aucune autre voix ne s’est élevée pour le soutenir. Mais la déclaration du chef du gouvernement Youssef Chahed qui a nié toute intention de remanier son équipe est venue mettre du baume dans son cœur. 

On dit souvent que l'éducation est irréformable. Aussi devrait-on inventer de nouvelles méthodes pour s’y prendre en rassemblant le plus large éventail autour de l’école avec le lancement d’une vaste consultation « transpartisane » ouverte aux syndicats et à la société civile et tous les acteurs du monde éducatif pour permettre de dessiner les contours de cette réforme scolaire dont le pays a plus que jamais besoin.

Néji Jalloul s’est trompé et il le reconnait. Mais « le seul homme à ne jamais faire d'erreur est celui qui ne fait jamais rien », disait Théodore Roosevelt.

C’est pourquoi, « il faut sauver le soldat Jalloul »

B.O

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