Quand le gouvernement ne dit pas toute la vérité à son peuple

Quand le gouvernement ne dit pas toute la vérité à son peuple

Après un mutisme qui a duré plusieurs semaines, le ministère du Commerce a publié samedi soir un communiqué dans lequel il annonce sans ciller que « le sucre subventionné destiné à la consommation familiale » est disponible en quantités suffisantes dans les différentes régions du pays. Une information qui est bien sûr loin de refléter la réalité, puisque la pénurie de sucre dure depuis des semaines si ce n’est des mois, dans le silence le plus absolu des autorités publiques.

Le communique ne parle pas que de sucre, mais aussi de café, un produit qui commence à manquer, pour raison apprend-on d’analyses. Comme si l’importation de cette matière dont les Tunisiens raffolent vient de débuter. On parle aussi de farine destinée à la consommation familiale qui revient sur les étalages comme par enchantement.

Il faut bien rappeler, parce que ceci peut expliquer cela, que ce communiqué s’inscrit dans le sillage de l’entretien qu’a eu vendredi le président de la République Kaïs Saïed avec la Cheffe du gouvernement Najla Bouden et qui a porté sur les circuits de distribution et l'approvisionnement des marchés. Selon la présidence de la République, Le chef de l'Etat a souligné lors de cet entretien l’importance d'assurer le contrôle et d'agir face à tout dysfonctionnement et de ne pas laisser sans punition toute infraction perturbant l'approvisionnement régulier des marchés. La pénurie observée en certains produits alimentaires est dans la plupart des cas préméditée, estime Saïed, précise-t-on de même source.

Dans le communiqué du ministère du Commerce, comme dans celui de la présidence de la République on ne nous dit pas toute la vérité. Ce qui est grave c’est que Carthage fait dire au chef de l’Etat que la pénurie est « préméditée ». Si on en est sûr, pourquoi on ne dit pas qui ose cette préméditation, et pour quelle raison ? Maintenant qu’on est dans un Etat centralisateur où le pouvoir est entre les mains d’une seule personne, il faut dire la vérité et appeler un chat un chat et ne pas se cacher derrière son petit doigt.

Si pour la farine on peut comprendre que la conjoncture internationale avec cette guerre russo-ukrainienne qui dure depuis plusieurs mois y est pour quelque chose, puisque les deux pays sont les plus gros producteurs et exportateurs du blé, mais aussi de l’orge dans le monde, le sucre n’est pas produit dans ces contrées, comme d’ailleurs le café. Pour ces deux matières, le problème est lié au manque de liquidités dont le pays souffre. Ce qui est sûr c’est que les prix de ces matières ont flambé sur les marchés internationaux. Si l’inflation est le problème majeur dans tous les pays, c’est à cause du renchérissement des prix des produits de consommation courante.

Les exportateurs veulent être payés rubis sur ongle, mais l’Office du Commerce de Tunisie (OCT) l’organe chargé de l’exportation de ces matières est incapable de mettre la main à la poche, puisque de poche il n’en dispose pas. C’est l’Etat qui doit avancer la somme. Mais cela on ne veut pas qu’on le sache. A cela s’ajoutent aussi des difficultés de transport maritime qui enregistre une hausse de tarifs sans précédent outre le manque de containers.

Il ne suffit pas de pointer du doigt les spéculateurs et autres monopolisateurs, et d’aggraver les sanctions dont ils écopent en cas d’infraction dûment constatée, cela n’a aucune signification si la pénurie perdure, car celle-ci favorise tous les comportements illicites.

C’est évidemment, un problème de communication de la part de ce gouvernement comme des précédents du reste. On ne veut pas dévoiler la vérité au peuple et on trouve des coupables pour les accuser de tous les maux. Ils sont soit les spéculateurs voraces ou les « affameurs du peuple » selon la nomenclature du président de la République, quand ce ne sont pas des forces occultes qui nous veulent du mal.

Mais ce déficit de communication ce n’est pas le ministère du commerce qui en prend pour son grade. Le ministère de la Santé fait de même s’agissant de la nouvelle flambée du covid-19. Quand bien même la santé n’a pas de prix, même si elle a un coût le département qui en est responsable a mis du temps avant de reconnaitre que l’on est de plain -pied dans la sixième vague de la pandémie. D’ailleurs il fait tout son possible pour atténuer les effets de cette nouvelle vague. On ne peut plus croire les chiffres qu’il présente et qui sont loin de refléter la réalité. D’ailleurs les statistiques hebdomadaires ne sont plus ce que l’on consulte le plus sur le site du ministère. L’intensification de la campagne de vaccination est, elle, parlante mais on ne veut pas dramatiser la situation. De même la campagne appelant au respect des protocoles sanitaires qui a eu les meilleurs effets dans les vagues précédentes, elle n’a pas été actionnée pour une raison qui reste inconnue, alors qu’elle n’aurait dû jamais cesser.

Comme il faut un troisième larron, pourquoi ne pas évoquer « la défaite diplomatique » que notre pays a essuyée, en n’obtenant pas comme prévu le siège de l’Agence africaine du médicament, un organe de première importance au moment où les pandémies effectives ou latentes menacent l’humanité. Le siège est revenu au Rwanda et ce pays mérite d’être félicité. Ce qui est sûr, c’est le manque de coordination entre les pays de l’Afrique du Nord qui nous a coûté ce poste convoité par les quatre pays, l’Algérie, le Maroc, l’Egypte et la Tunisie bien sûr. Il a d’ailleurs fallu quatre tours de vote pour que le Rwanda l’emporte devant l’Algérie arrivée en seconde position.

On ne cesse de louer la relation stratégique qui lie notre pays à son voisin occidental mais paradoxalement la perte par les deux pays de cet organe panafricain ne signifie nullement qu’une coordination existe entre les deux diplomaties. Mais sur cette question motus et bouche cousue. On ne veut rien dire côté tunisien, même si les Algériens n’ont pas occulté cette défaite considérée par certains de nos voisins comme « une gifle » portée à la diplomatie de leur pays pourtant très active sur le continent africain.

Toutes ces péripéties montrent clairement que le pouvoir tunisien ne dit pas à son peuple toute la vérité. Il agit par omission, ce qui n’est pas tolérable. La conjoncture politique intérieure et le référendum du 25 juillet que l’on ne veut pas parasiter explique certainement cette série d’omissions. Mais il y aura un après- référendum et là le réveil risque d’être rude.

Une dernière remarque : N’avez- vous pas été intrigué par le mutisme qui accompagne les négociations entre la Tunisie et le Fonds monétaire international. Si le soulagement était palpable côté tunisien lors de l’ouverture de « négociations officielles », rien n’a filtré sur les pourparlers qui semblent ne pas avancer. Là aussi il y a un grave déficit de communication mais personne ne s’en soucie. Pour couronner le tout, le FMI demande au gouvernement de dire la vérité au peuple et d’entamer sans attendre les grandes réformes qu’il se propose de lancer mais qu’il a toujours reportées aux calendes grecques.

Selon des informations invérifiables, d’ailleurs qui peut prétendre réussir à faire parler les responsables tunisiens, c’est le président Kaïs Saïed qui oppose son véto à toute augmentation des produits dits de première nécessité. Parmi lesquels on peut compter les carburants puisque cela fait six mois, qu’aucune augmentation n’a été décidée alors que la révision devrait être mensuelle. Tout cela ne fait qu’alourdir l’ardoise et il n’est pas sûr que les finances publiques supporteront encore longtemps l’accumulation de ces sommes faramineuses consacrées aux subventions et autres dépenses de la Caisse générale de compensation.

Alors que la Tunisie est dans la short-list des pays qui pourraient être en « défaut de paiement » de sa dette extérieure, le pouvoir regarde ailleurs et se mobilise pour d’autres cause, une nouvelle constitution pour une nouvelle République. Mais est-ce vraiment la priorité.

RBR

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