Les nouveaux défis du mouvement de solidarité avec la Palestine en Tunisie
Par Ahmed Abbes
A mes camarades Ramy Shaath et Mohamed al-Masry,
membres de la Campagne BDS-Egypt,
qui croupissent à la prison de Tora en Egypte,
emprisonnés par le régime du dictateur Sissi
pour leur défense des droits inaliénables du peuple palestinien
et leur lutte contre la normalisation avec Israël.
Beaucoup de partisans inconditionnels d’Israël, qui feignent de rejeter le plan d’annexion de Netanyahu de pans importants de la Cisjordanie, ne se soucient nullement des droits inaliénables du Peuple palestinien, mais craignent que l'annexion prévue ne ruine irrémédiablement l’image d'Israël auprès de l’opinion publique occidentale.
De fait, le soutien à Israël s’amenuise aux Etats Unis et en Europe, surtout parmi la génération du millénaire. Mais à l’inverse de cette évolution favorable en Occident, le soutien à la cause palestinienne dans le monde arabe connaît une érosion continue depuis une décennie.
Si l’on replace ce phénomène, à l’échelle de la Tunisie, dans une perspective historique, il ressort qu’un changement de paradigme de la solidarité avec la Palestine est nécessaire. Du moins en va-t-il de la survie même de cette cause en Tunisie et dans une partie du monde arabe.
Oslo « la deuxième plus grande victoire de l’histoire du sionisme »
Le « processus de paix au Proche-Orient » est mort et enterré. Il était à l’agonie depuis déjà quelques années lorsque le président américain Trump l’a définitivement achevé fin janvier en annonçant son « accord du siècle ». Le premier ministre israélien Netanyahu s’apprête à célébrer officiellement ses funérailles en annexant une portion importante de la Cisjordanie.
Ce projet a été largement condamné à travers le monde, y compris par des responsables politiques et des intellectuels connus pour leur soutien inconditionnel à Israël, sionistes de gauche comme de droite.
Robert Satloff, chef du « Washington Institute for Near East Policy », un think tank belliciste pro-israélien, a écrit un article dans le Washington Post intitulé « Je suis un ardent sioniste et je suis opposé à l’annexion. » Côté tunisien, son comparse, l’historien tunisien Habib Kazdaghli, s’est quant à lui contenté de relayer sur sa page Facebook le dossier concocté par France-info, une radio française connue pour ses partis pris pro-israélien.
«Dans ce dossier vous lirez ce qu'il faut savoir sur un projet illégal d'annexion de 30% de la Cisjordanie par Israël […] comment ce plan unilatéral détruit l'espoir de la création d'un État palestinien indépendant et met par là en danger les chances de paix dans la région du Moyen-Orient » écrivait-il. Ces litanies stériles et ces mimétismes nauséabonds relèvent au mieux de l’aveuglement, au pire de l’hypocrisie tellement le plan d’annexion de Netanyahu est inscrit dans les gênes des accords d’Oslo que ces intellectuels ont soutenu et présenté comme un « processus de paix » pendant trois décennies.
Dès le lendemain de la signature des accords d’Oslo en septembre 1993, certains parmi les plus fins connaisseurs du conflit israélo-palestinien ont alerté sur son caractère fortement déséquilibré au détriment des Palestiniens. Edward Saïd publiait en octobre 1993 une analyse hautement critique et extrêmement lucide de ces accords qu’il qualifiait de « plan Allon modifié »[1], d’« outil de la capitulation palestinienne » et de « Versailles palestinien ». De l’autre côté, l’écrivain israélien Amos Oz, souvent qualifié par les média occidentaux de ‘colombe’, déclarait dans une interview à la BBC le 14 septembre 1993 que ces accords étaient « la deuxième plus grande victoire de l’histoire du sionisme ».
La linguiste antisioniste israélienne Tanya Reinhart est l’une de ceux qui ont le mieux compris la perversité des accords d’Oslo, qu’elle a analysés dans des textes prémonitoires. Elle écrivait [2], dans la foulée de l’accord de Jéricho-Gaza, partie intégrante du processus d’Oslo, signé au Caire le 4 mai 1994, qui avait investi l'Autorité nationale palestinienne de pouvoirs extrêmement limités : « au cours des dernières semaines, de nombreux opposants à l'occupation ont été tentés de souligner la ressemblance entre la fin de l'apartheid en Afrique du Sud et les accords de Gaza et de Jéricho. Cependant, si nous regardons les faits, mis à part les sentiments et les espoirs, les accords avec l'OLP ressemblent au début de l'apartheid plutôt qu'à sa fin. En 1959, la loi promouvant l'autonomie des peuples bantous a été votée en Afrique du Sud, institutionnalisant la séparation (apartheid) entre blancs et noirs. Les réserves, qui ont été attribuées aux Noirs, ont été déclarées entités autonomes et connues sous le nom générique de Bantoustans. »
Huit ans plus tard, en 2002, Tanya Reinhart enfonçait le clou [3] : « depuis le début du ‘processus d’Oslo’ en 1993, il y a eu deux conceptions divergentes dans les milieux politiques et militaires israéliens. La première, soutenue par Yossi Beilin, cherchait à mettre en application une version du vieux plan du parti travailliste (plan Allon) qui consistait à annexer environ 35% des territoires occupés et à donner aux Palestiniens un certain degré d'autodétermination sur le reste. Mais pour la partie opposée, c'était encore trop. L’opposition aux accords d'Oslo était focalisée autour des militaires – dont le porte-parole le plus virulent à l'époque était le chef d'état-major, Ehud Barak – et dans le cercle politique de Sharon. Barak et Sharon appartiennent à une lignée de généraux politiques, nourris par le mythe de Ben Gourion, la rédemption par la terre. Comme ils l'ont déclaré à maintes reprises l’an dernier, ‘la guerre de 1948 n'est pas encore terminée’ ».
Si nombre de sionistes, y compris parmi les plus bellicistes, feignent de rejeter le plan d’annexion de Netanyahu c’est qu’il pourrait emporter ce qui reste de sympathie à l’égard d’Israël dans le monde occidental. Durant la dernière décennie, le blason d’Israël aux Etats Unis et en Europe s’est terni : perçu naguère comme une « démocratie engagée en faveur d’une paix négociée », Israël apparaît dorénavant de plus en plus comme un système d’apartheid, de colonisation et d’injustice, en grande partie sous l’effet de la campagne internationale de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) lancée en 2005.
Au cours des dernières années, les campus américains sont devenus le principal champ de la bataille d’opinion déclenchée par BDS. Le sioniste belliciste Robert Satloff a publié en 2015 une vidéo de propagande anti-palestinienne intitulée « Comment naviguer à travers la politique israélienne dans les campus : conseils d'un parent », propageant des calomnies contre le mouvement BDS et appelant les étudiants américains à la délation de leurs professeurs qui y adhèrent ou lui sont favorables.
Mais la propagande sioniste a échoué, comme le prouve une excellente tribune récemment publiée dans Haaretz, intitulée « Quand ma fille a appelé Israël un état d’apartheid, j’ai objecté. Maintenant, je ne suis pas si certain », coécrite par Allen Weiner, Senior Lecturer de droit et directeur du programme de droit international et comparé à l'Université de Stanford, et sa fille Katie Weiner, fraîche diplômée de Harvard. Le père lance dans cette tribune un message de détresse au premier ministre israélien Netanyahu : « Dans l’ombre de l’annexion, incarnation de la victoire de la force sur la justice et sur le droit international, je suis à court de contre-arguments. Et c’est ainsi qu’Israël est en train de perdre l’Amérique. »
De fait, un sondage de l’institut Gallup en 2019 montre que le soutien à Israël s’amenuise dans la génération du millénaire aux Etat-Unis : seuls 17 % des Américains entre 18 et 34 ans — à comparer au 36 % de ceux au-dessus de 55 ans — ont exprimé une opinion « très favorable » à l’égard d’Israël. Plus d’un tiers des Américains de moins de 35 ans ont dit qu’ils voyaient Israël de manière défavorable. La situation est particulièrement prononcée parmi les Démocrates, surtout les jeunes. Seuls 13% des Démocrates ont aujourd’hui une opinion très favorable d’Israël, contre 43% des Républicains.
A l’inverse de cette évolution favorable de l’opinion publique américaine et plus généralement occidentale, le soutien à la cause palestinienne en Tunisie a connu une érosion continue depuis une décennie. Pourquoi ?
Une dissonance permanente
Tunis était la dernière étape du périple de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) après son expulsion de Beyrouth en 1982 et avant son retour en Palestine dans le cadre des accords d’Oslo en juillet 1994. Mahmoud Darwich, qui a accompagné toutes ces étapes, disait [4], en faisant ses adieux à Tunis : « Nous nous élançons de son étreinte vers le premier pied-à-terre, dans l’arrière-cour de la patrie. » Malheureusement, ce « pied-à-terre » ne s’est pas transformé en une habitation décente. Le peuple palestinien n’a pas connu une vie humaine libre dans un État digne de ses aspirations légitimes. En réponse à un journaliste qui lui demandait pourquoi sa voix était étranglée par les sanglots lorsqu’il déclamait son poème, Darwich répondit : « la Tunisie occupe une place spéciale dans la conscience de chaque palestinien, non seulement pour l’accueil et l'hospitalité que les tunisiens nous ont offerts, mais aussi parce que la Tunisie est le seul pays dont nous n'avons pas été expulsés ». Ce fait, incontestable, cache cependant une dissonance permanente en Tunisie entre l’occidentalisme proclamé des dirigeants et l’arabisme contestataire de la société, qui atteint sans doute son paroxysme dès lors que le conflit israélo-palestinien est en jeu.
Le professeur Michael Laskier de l’Université israélienne Bar-Ilan a révélé [5] au début des années 2000 que la Tunisie et Israël avaient eu des contacts réguliers au plus fort du conflit israélo-arabe, entre 1950 et 1970. Le 25 juin 1952, quatre ans avant l’indépendance de la Tunisie, Bahi Ladgham, un très proche confident du leader nationaliste et futur président tunisien Habib Bourguiba, rencontra Gideon Rafael, membre de la délégation israélienne à l’ONU. Il sollicita un appui israélien pour l'indépendance de la Tunisie, en contrepartie d’un engagement des nationalistes tunisiens à faciliter l’émigration des juifs tunisiens vers Israël et à œuvrer, au sein du monde arabe, en faveur de la reconnaissance d’Israël.
L’objectif recherché en dit long sur la myopie stratégique du leader et sur sa méconnaissance du sionisme. Les révélations de Laskier montrent que les principales motivations de Bourguiba n’étaient ni la défense des droits inaliénables du Peuple palestinien, ni la recherche de la paix dans la région, mais plutôt une certaine jalousie, voire une jalousie certaine, à l’égard du leader égyptien Gamal Abdel Nasser et la recherche de menus avantages économiques et financiers pour la Tunisie, attitude que les dirigeants sionistes ont su exploiter.
Son successeur, Zine El-Abidine Ben Ali, a joué pendant les premières années de son règne (1987-1990) la carte de l'arabisme émotionnel pour se concilier la population, avant de reprendre et d’amplifier la politique de normalisation de son prédécesseur. Donner des gages aux puissances occidentales sur Israël était la meilleure façon d’acheter leur silence sur sa gestion despotique du pays, ainsi que sur les abus et les violations des droits de l'homme commis par son régime – prototype de la feuille de route des dictatures arabes actuelles.
Les accords d’Oslo, du pain béni pour Ben Ali
En avril 1995, un rapport [6] de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis affirmait :
« La Tunisie et Israël ont annoncé le 3 octobre 1994 l’établissement de relations diplomatiques de bas niveau, une démarche que les deux pays ont décrite comme la première étape de la normalisation de leurs liens. Les deux pays établiront des bureaux de liaison économique dans les ambassades belges respectives. Le directeur général adjoint du ministère des Affaires étrangères, Yoav Biran, a conduit une délégation israélienne en Tunisie en janvier pour discuter de l'ouverture de la mission israélienne. Des liaisons de télécommunications, postales et aériennes sont également en discussion entre la Tunisie et Israël.
Un groupe d'industriels israéliens a rencontré à Tunis en janvier des représentants du gouvernement tunisien, des banquiers, des financiers et des fabricants. Des hommes d'affaires américains, dont des représentants de Merrill Lynch, Smith Barney et Oppenheimer investments, faisaient également partie de la délégation. Le ministre de l'Environnement, Yossi Sarid, a dirigé une délégation israélienne à la Conférence des États méditerranéens sur l'environnement à Tunis en novembre dernier, à laquelle ont assisté 17 pays. Le drapeau d'Israël a été déployé à la conférence - la première fois qu'il avait été affiché publiquement en Tunisie.
Plusieurs hauts responsables israéliens se sont rendus en Tunisie. Le ministre du Logement Ben-Eliezer a rencontré le président de l'OLP, Arafat, à Tunis en décembre dernier, et le vice-ministre des Affaires étrangères Beilin y a dirigé une délégation pour des discussions multilatérales sur les réfugiés en octobre dernier. »
Le 22 janvier 1996, le secrétaire d'État des Etats-Unis, Warren Christopher, déclarait : « pour la première fois, Israël et la Tunisie vont établir des relations officielles dites ‘bureaux d’intérêt’ ». Israël ouvrit son bureau d’intérêt en Tunisie en avril de la même année et, six semaines plus tard, le diplomate tunisien Khemaies Jhinaoui arriva en Israël pour ouvrir le bureau d’intérêt de la Tunisie à Tel Aviv.
Un mois après le déclenchement de la deuxième Intifada, en octobre 2000, Ben Ali annonça qu’il romprait tous les liens diplomatiques avec Israël. Mais en sous-main, les contacts entre les deux pays ne se sont jamais interrompus. Cinq ans plus tard, en février 2005, le premier ministre israélien Ariel Sharon fit savoir qu'il avait accepté une invitation à se rendre en Tunisie émanant du président Ben Ali, à l'occasion du Sommet mondial sur la Société de l'Information (SMSI) placé sous les auspices des Nations-Unies. C’est finalement le ministre israélien des Affaires étrangères, Sylvan Shalom, qui représenta son pays à ce sommet. Il était venu à bord d'un avion spécial effectuant la première liaison directe, dans l’histoire, entre Israël et la Tunisie. D’après la dépêche de l’AFP relayée par L’Orient-Le Jour : « L’avion de M. Shalom a atterri mardi [15 novembre 2005] à l’aéroport international de l’île de Djerba, transportant une délégation de 150 personnes, a indiqué à l’AFP René Trabelsi, fils du chef de la communauté juive à Djerba. Accompagné de membres de sa famille originaire de la ville méridionale de Gabès, M. Shalom devait se recueillir à la synagogue de la Ghriba, à Djerba, plus ancien lieu de culte juif en Afrique.
M. Trablesi, qui remplace son père, Perez Trabelsi, souffrant, a exprimé ‘le bonheur’ des juifs de Tunisie d’accueillir la délégation israélienne. La délégation devait ensuite participer à une réception en présence de membres de la communauté juive, avant de gagner la capitale. M. Shalom devrait aussi effectuer une visite privée à Gabès, sa ville natale ». Selon le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (Crif), la délégation de M. Shalom comportait outre sa mère et son frère, la Ministre des télécommunications, Dalia Itzik, le chef de file du parti Shas, le député Eli Yishai, trois maires, le président du Congrès Juif Européen, Pierre Besnainou, Meyer Habib, membre de l’Exécutif du Crif, et Gil Taïeb, président de l’Association Solidarité Israël (ASI), ainsi que des diplomates et des experts.
Cet événement illustre les principales caractéristiques de la normalisation tunisienne avec Israël : un cocktail de politique et d’affairisme triangulaire entre Tunis, Tel Aviv et Paris, facilité par le lobby pro-israélien français et la communauté juive d’origine tunisienne. Sous couvert de mémoire et de tolérance, le pèlerinage de la synagogue de la Ghriba à Djerba est devenu un des principaux vecteurs de cette normalisation. René Trabelsi fut pendant des années son principal organisateur.
Aux sources de la révolution tunisienne : de Gafsa à Gaza
Le régime de Ben Ali réprimait toute manifestation d’opposition à sa politique de normalisation galopante avec Israël. Il n’est jusqu’aux simples déclarations d’indignation qui ne furent proscrites. L’avocat Mohamed Abbou, membre du Congrès pour la République, parti d’opposition non autorisé, publia le 28 février 2005 une tribune [7] dans laquelle il dénonçait l’invitation adressée par Ben Ali à Sharon : « Les deux hommes ont des caractéristiques communes : ils sont tous deux militaires, tous deux experts en répression des soulèvements et tous deux sont affligés d’une famille impliquée dans des délits de corruption. En outre, ils sont en perpétuelle quête de soutien international », écrivait-il. Les pouvoirs publics, visiblement peu sensibles à cette fine ironie, le firent enlever sur la voie publique, dans la nuit du 1er mars 2005, par des policiers en civil, et le condamnèrent ensuite à trois ans et six mois de prison ferme.
À la veille de la révolution tunisienne, les universitaires Larbi Chouikha et Vincent Geisser publièrent un article [8] qui fit date sur les enjeux de la succession du président Ben Ali et la dégradation du climat social en Tunisie. C’est, à ma connaissance, la seule analyse politique à prédire l’avènement d’un changement en Tunisie. Les auteurs consacrèrent une section à la grande mobilisation populaire en Tunisie consécutive à l’agression israélienne contre Gaza en décembre 2008 et janvier 2009. Ils la situaient dans le prolongement de la révolte du bassin minier de Gafsa [9], important mouvement social qui avait secoué la région minière du sud-ouest tunisien pendant près de six mois en 2008, qui est aujourd’hui considéré comme le début du processus menant à la révolution tunisienne, un an et demi plus tard, fin 2010.
Aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali, les drames arabes (conflit israélo-palestinien, Intifada, guerre du Golfe, invasion de l’Irak, etc.) ont systématiquement produit des effets ondulatoires sur les scènes protestataires tunisiennes, allant parfois jusqu’à mettre en péril la stabilité du régime.
Les auteurs évoquent « un processus complexe de résonance entre le local (la Tunisie), le régional (le monde arabo-musulman) et l’international (le reste du monde) » pour expliquer les ferments des mobilisations tunisiennes. À de multiples occasions, le régime parvint cependant à infiltrer les phénomènes de solidarité panarabe. Ainsi, lors de la première guerre du Golfe (1990-1991), le parti présidentiel avait habilement orchestré un mouvement de solidarité avec l’Irak de Saddam Hussein, vaste et puissamment encadré par ses sbires. Mais il ne put canaliser de même le mouvement populaire contre la guerre de Gaza, en décembre 2009, pour au moins deux raisons.
D’une part, contrairement au début de son règne, Ben Ali était complètement discrédité aussi bien pour sa politique répressive interne que pour sa normalisation avec Israël. D’autre part, la société civile composée de l’opposition indépendante, des Associations des droits de l’Homme, des ordres professionnels et des syndicats de salariés, avait créé une Coordination des associations indépendantes et lancé un Appel commun (appel du 19 janvier), afin d’encadrer démocratiquement la solidarité avec le peuple palestinien à Gaza et surtout d’échapper aux tentatives de récupération du parti présidentiel.
Chouikha et Geisser notent que « les unions régionales du syndicat des travailleurs, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ont été à l’initiative de très nombreuses mobilisations locales. Davantage ancrées sur le terrain et présentes humainement dans la ‘Tunisie de l’intérieur’, les unions locales du syndicat ont contribué à structurer efficacement un mouvement populaire qui laisse présager du rôle sociopolitique qu’elles pourraient remplir dans un proche avenir sur des questions davantage ‘nationales’. » Il n’est pas anodin que les unions régionales de l’UGTT avaient refusé de prendre en charge les mouvements protestataires dans le bassin minier de Gafsa en 2008. Elles avaient donc retenu la leçon de Gafsa lors des manifestations de 2009 pour Gaza et elles récidiveront quelques mois plus tard en encadrant la révolution qui a mis fin au régime Ben Ali.
Il ressort donc que la mobilisation populaire contre la guerre à Gaza en 2009 a servi de tremplin à la révolution tunisienne, un fait assez rarement noté dans les analyses politiques du « Printemps arabe ».
La cause palestinienne en Tunisie post-révolutionnaire
On aurait pu s’attendre à ce que la normalisation tunisienne avec Israël marque le pas après la chute de Ben Ali. Ce ne fut pas le cas. De nombreux partis politiques continuent aujourd’hui à donner des gages aux puissances occidentales sur ce sujet, soit pour se faire accepter comme des partenaires « crédibles », soit pour décrocher de dérisoires avantages financiers et économiques en ces temps de crise endémique. Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste « Ennahdha » et président actuel de l'Assemblée des représentants du peuple, a été invité en mai 2013 au Centre Saban pour la politique du Moyen-Orient à Brookings au Etats-Unis. Haïm Saban est un homme d'affaires américano-israélien d’origine égyptienne qui a déclaré que sa plus grande préoccupation était de protéger Israël.
Lors d'une conférence en Israël, il a affirmé qu'il y avait trois façons d'influencer la politique américaine : faire des dons aux partis politiques, créer des think tanks (dont ledit centre à Brookings...) et contrôler les médias. Ghannouchi a été introduit lors de cette conférence par Martin Indyk, le directeur adjoint de la recherche au Comité des affaires publiques américaines et israéliennes (AIPAC), le plus important lobby pro-israélien aux Etats-Unis, et ancien ambassadeur des États-Unis en Israël.
Le règne de l’ancien président Béji Caïd Essebsi (2014-2019), un des héritiers du régime pré-révolutionnaire, a vu le retour des acteurs de l’épopée sioniste de Ben Ali à des postes clés du gouvernement dirigé par Youssef Chahed. Le ministre des affaires étrangères était Khemaies Jhinaoui, le diplomate choisi par Ben Ali pour ouvrir le bureau d'intérêt de la Tunisie à Tel Aviv en 1996, et le ministère du tourisme était René Trabelsi, le voyagiste qui a accueilli la délégation du ministre israélien des Affaires étrangères Sylvan Shalom à Djerba en 2005 et l’un des principaux organisateurs du pèlerinage de la synagogue de la Ghriba.
Le sulfureux homme d’affaires et président du parti « Au cœur de la Tunisie » Nabil Karoui a, quant à lui, signé un contrat d’une valeur d’un million de dollars avec la société de lobbying canadienne Dickens & Madson, dirigée par l’ancien agent du Mossad israélien Ari Ben-Menashe, pour l’aider à gagner les élections présidentielles de 2019. La révélation de ce contrat quelques semaines avant les élections a probablement contribué à sa défaite.
Outre ces scandales politiques, les organisations de la société civile tunisienne dévoilent régulièrement des affaires de normalisation dans tous les domaines (économie, tourisme, sport…). Même l’entreprise publique de la Poste n’y a pas échappé. À ce vecteur classique s’en ajoute un second, moins visible mais tout aussi dangereux, visant à inhiber les velléités d’opposition de la société civile, particulièrement chez les jeunes. Ce catalyseur fait la promotion de la normalisation sous couvert de tolérance et de lutte contre l’antisémitisme, comme dans l’affaire de la LICRA, ou dans le cadre de projets qui visent à relever des défis « écologiques » ou « sécuritaires » en Méditerranée, dont beaucoup sont financés par l’Union Européenne.
Il est rare que les campagnes dénonçant ces efforts rampants de normalisation soient couronnées de succès. Une exception importante concerne la compagnie maritime israélienne ZIM qui a été forcée d’arrêter ses services vers le port tunisien de Radès en août 2018, suite à une campagne menée conjointement par la Campagne tunisienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (TACBI) et la centrale syndicale UGTT. Mais ce succès, à ce jour, demeure un hapax.
Par ailleurs, les manifestations populaires de soutien au Peuple palestinien en Tunisie post-révolutionnaire ne rassemblent plus beaucoup de monde. Deux ans avant la révolution, en janvier 2009, plusieurs centaines de milliers de Tunisiens étaient descendus dans la rue pour dénoncer la guerre israélienne contre Gaza. Le mouvement de solidarité populaire avait touché la quasi totalité du territoire, aussi bien les grandes agglomérations régionales que les villes de l'intérieur. Les villes du bassin minier de Gafsa, à peine remises de la répression sanglante de 2008, avaient elles aussi organisé plusieurs marches de solidarité avec la population de Gaza, bravant les interdictions du ministère de l’Intérieur. Trois ans après la révolution, les manifestations populaires pour dénoncer la guerre israélienne de l’été 2014 contre Gaza n’ont rassemblé que quelques centaines de personnes.
Pourtant, la population n’a pas perdu le goût des barricades. L’année précédente fut particulièrement riche en manifestations contre la coalition au pouvoir dirigée par le parti islamiste et pour protester contre l’assassinat des chefs de l’opposition de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
L’érosion du mouvement de solidarité avec la Palestine en Tunisie post-révolutionnaire s’explique par au moins deux raisons. D’une part, le champ d’action politique s’étant ouvert, aussi bien les militants de base que les organisations de la société civile ont été absorbés par la politique interne. La cause palestinienne, qui était sous Ben Ali le seul exutoire relativement toléré, s’est retrouvée, après la révolution, reléguée au second plan. Les marges de manœuvre pour remédier à ce problème sont relativement restreintes. On pourrait certes espérer que les acteurs de la société civile se lassent à moyen terme de la médiocrité de la scène politique locale et retrouvent de l’intérêt pour la cause palestinienne, où leur engagement peut faire bouger les lignes.
L’engouement que cette cause suscite en Occident pourrait attirer en particulier les plus jeunes. D’autre part, la transition démocratique, surtout l’instauration des libertés d’expression et de manifestation, a fortement atténué les effets de résonance classiques entre le soutien à la cause palestinienne et les revendications sociales et politiques légitimes de la population tunisienne. Ce phénomène est en revanche porteur de nouvelles opportunités : de nouvelles résonances existent et n’attendent qu’à être mises en œuvre. Expliquons.
« Notre ennemi est commun, notre lutte est la même »
La nouvelle solidarité avec le Peuple palestinien se décline en terme de convergence des luttes et d’intersectionnalité [10]. Cette approche s’est avérée particulièrement pertinente en Occident auprès des minorités et des communautés opprimées (noirs, hispaniques, LGBT, immigrés…). Son applicabilité au cas tunisien découle de ce que plusieurs formes de normalisation avec Israël aggravent les inégalités et les injustices que subissent certaines classes de la population, tout en menaçant la sécurité du pays. On peut facilement percevoir ces nouvelles résonances dans le domaine de la surveillance et de la sécurité et dans celui de l’agriculture, deux secteurs parmi les plus performants en Israël. Mais des opportunités existent aussi dans d’autres secteurs.
Dans un rapport rendu public le 22 juin 2020, Amnesty International a révélé que l’entreprise israélienne de sécurité informatique NSO Group avait permis au Maroc d’espionner le journaliste marocain Omar Radi. L’organisation a découvert que son téléphone avait été la cible de plusieurs attaques au moyen d’une nouvelle technique permettant d’installer de façon invisible le logiciel espion Pegasus, produit par NSO Group. Ce logiciel a servi à mener plusieurs attaques contre des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des députés dans plusieurs pays. Il aurait en particulier été utilisé dans l’assassinat du dissident saoudien Jamal Khashoggi. WhatsApp a porté plainte contre NSO Group en octobre 2019, l’accusant d’avoir contribué au piratage, à des fins d’espionnage, d’une centaine de ses utilisateurs, notamment des journalistes et des militants des droits de l’homme. En septembre 2018, Citizen Lab, un laboratoire de l'Université de Toronto, a identifié 45 pays, dont la Tunisie, dans lesquels les opérateurs du logiciel espion Pegasus pourraient mener des opérations. Ses chercheurs notent « qu’un opérateur distinct qui semble se concentrer sur le Maroc pourrait également espionner des cibles dans d'autres pays, notamment l'Algérie, la France et la Tunisie ». Par ailleurs, NSO Group commercialise un outil d'analyse de méga-données qui affirme suivre la propagation de l’épidémie du Covid-19 en suivant les déplacements des personnes sur une carte.
NSO Group n’est pas la seule entreprise israélienne de surveillance à menacer nos libertés fondamentales. La société israélienne de technologie de reconnaissance visuelle AnyVision tire profit des violations, par Israël, des droits humains des Palestiniens pour exporter sa technologie de surveillance répressive dans le monde entier. Non seulement ses outils sont utilisés aux check-points militaires en Cisjordanie, mais cette société entretient également des caméras pour le compte de l’armée israélienne au cœur de la Cisjordanie, afin d’espionner les Palestiniens et de permettre à l’armée israélienne, en toute illégalité bien sûr, de prendre les civils pour cible. L’un de ses partenaires, Hewlett Packard Enterprise (HPE), est présent en Tunisie.
Fournissant des serveurs au bureau de l’état civil d’Israël pour le contrôle de la population – l’un des piliers du système israélien d’apartheid – HPE utilise la technologie de reconnaissance visuelle d’AnyVision dans ses serveurs.
En luttant contre la normalisation israélienne en Tunisie, nous défendons nos libertés fondamentales tout en exprimant notre solidarité avec le Peuple palestinien.
Un autre secteur à fort potentiel « intersectionnel » est l’agriculture. Il a été au cœur de la normalisation tunisienne avec Israël dès les premiers contacts secrets entre les émissaires de Bourguiba et les Israéliens. Laskier rapporte qu’en 1966, « le représentant du Congrès juif mondial, A. Easterman, a dit à Bourguiba Jr. qu’Israël était universellement connu pour développer des industries agricoles modernes et avait transmis son expérience et ses techniques à un certain nombre de nouveaux États africains. Le gouvernement israélien, a-t-il dit, était ‘très disposé et prêt à les mettre au service de la Tunisie’ ». L’avance technologique israélienne sur le monde arabe dans le domaine agricole s’est amplifiée au cours des cinquante dernières années.
Parmi les entreprises israéliennes les plus importantes, se trouvent Netafim dans le domaine de l’irrigation et Zeraïm et Hazera qui commercialisent des semences. Comme beaucoup d’autres entreprises israéliennes, celles-ci ont développé depuis une dizaine d’années une nouvelle stratégie pour faire face aux campagnes ciblées du mouvement BDS, qui consiste à vendre la majorité de leurs actions à des groupes et des fonds étrangers, tout en conservant une partie du capital et en exigeant le maintien des unités de production et des activités de recherche et de développement en Israël. Cette stratégie vise à garder le contrôle d’un groupe, son savoir-faire et ses brevets, tout en se protégeant du boycott sous le parapluie d’une multinationale.
Fondé sur le kibboutz israélien de Hatzerim en 1965, Netafim est le leader mondial des systèmes d’irrigation par goutte-à-goutte, une technologie dont cette entreprise fut la pionnière. Selon son site Web, la société emploie 4300 personnes et fournit des équipements et des services à des clients dans plus de 110 pays, dont la Tunisie. Cette entreprise représente aujourd’hui le premier investissement étranger déclaré d’Israël dans le monde arabe. En 2017, Netafim a créé une filiale au Maroc pour 2,9 millions de dollars, créant ainsi dix-sept emplois. En février 2018, les propriétaires ont vendu 80 % de leurs actions à Mexichem, un groupe mexicain de produits pétrochimiques, pour 1,5 milliard de dollars. Le kibboutz Hatzerim en conserve 20 %. L’accord stipule que le siège de Netafim, le centre d'activité, les usines de production existantes et les activités de recherche et de développement demeureront en Israël pendant une période d'au moins 20 ans.
Une photographie postée sur les réseaux sociaux à des fins publicitaires par un vendeur de produits agricoles de la région de Kasserine au centre-ouest de la Tunisie montre des rouleaux de gaines Netafim à goutteurs intégrés en provenance d’Espagne. Le certificat de circulation « Eur1 » visible sur la photo indique que cette marchandise est entrée en Tunisie en bénéficiant de droits de douane réduits (voire nuls). D’autres photos montrent des arrivages plus récents. Netafim détient aujourd’hui une part importante du marché tunisien. Sa technologie d’irrigation goutte-à-goutte profite aux grands exploitants agricoles au détriment des paysans locaux. De plus, elle favorise le mode de production en monoculture qui engendre des effets collatéraux néfastes sur l’environnement, menace la biodiversité et induit des risques économiques et sociaux, comme l’a expliqué le Groupe de Travail sur la Souveraineté Alimentaire (GTSA) en Tunisie, dans un excellent rapport récent [11].
L’État tunisien a mis en place dès les années 1970 une politique de collecte et d’économie de l’eau, notamment dans le secteur agricole (qui consomme environ 82% des ressources hydriques). Il a en particulier encouragé et promu la technologie d’irrigation goutte-à-goutte par l'exonération fiscale des équipements et l’accès au financement et à des subventions allant jusqu’à 60% du coût de l’installation. Ces mécanismes ont encouragé les capitaux à s’introduire dans le secteur agricole. Les petits et moyens agriculteurs ont quant à eux difficilement accès à ces subventions pour plusieurs raisons, en particulier la complexité de leurs situations foncières (absence de titre de propriété, morcellement des parcelles) et le surendettement.
De plus, la majorité des forages réalisés par les paysans sont illégaux, ce qui constitue un obstacle à l’accès aux subventions de l’État. En revanche, les investisseurs en agriculture et les grands propriétaires parviennent à arracher les autorisations de forage et à profiter de tous les avantages qui s’ensuivent. Ces mécanismes d’encouragement ont contribué à augmenter massivement la surface irriguée, qui est passée d’environ 60.000 ha dans les années 1960 à 450.000 ha en 2010 [12], ce qui favorise le mode de production en monoculture. Traditionnellement, les paysans tunisiens utilisent des systèmes ingénieux très économes en eau, parmi lesquels la culture étagée des oasis du sud tunisien.
Le mode de production en monoculture, rendu possible et favorisé par le système d’irrigation goutte-à-goutte, a détruit ce savoir-faire. Il s’est appliqué d’abord aux vignes, aux oranges maltaises et aux dattes Deglet Nour, avant de se propager aux oliveraies. Traditionnellement exploitées en mode pluvial, les variétés locales sont remplacées par des variétés étrangères avides d’eau. L’extension des monocultures d’oliviers atteint aujourd’hui des régions historiquement consacrées aux grandes cultures, aggravant ainsi le déficit national en production céréalière.
Avec l’engagement dans la monoculture de l’orange maltaise de Tunisie, les petits et moyens paysans du Cap Bon ont été contraints de changer leur mode de production pour alimenter les exportateurs en produits concurrentiels sur le marché européen. L’ensemble des ressources a été consacré à cette variété et la diversité qui caractérisait l’agriculture locale a disparu, rendant les paysans dépendants du marché international. Le retour à un mode de production plus diversifié est très difficile, comme en témoigne cet agriculteur de Béni Khalled : « À cause du goutte-à-goutte, les racines de l’arbre ne s’approfondissent plus dans le sol, elles remontent vers la surface à la recherche de l’eau. Ceci modifie considérablement la morphologie de l’arbre et affecte le sol qui se compacte et s’appauvrit. De plus, avec l’installation du goutte-à-goutte, nous ne pouvons plus labourer sous les arbres. Nous ne plantons plus rien et nous n’aérons plus le sol ».
Par ailleurs, le mode d’irrigation localisée implique un usage excessif d’intrants chimiques tels que les pesticides, les fongicides ou les engrais, dans la mesure où ceux-ci sont aujourd’hui injectés directement dans l’eau d’irrigation. Avec le lessivage des sols, ces produits nocifs s’acheminent vers les nappes phréatiques et polluent les sols et les eaux. L’alternance d’épisodes de sécheresse et d’inondations annoncée en prévision du changement climatique accentuera les phénomènes d’érosion et de lessivage des sols, si l’infrastructure et les pratiques agricoles ne changent pas.
Lutter contre l’infiltration du géant israélien de l’agriculture Netafim en Tunisie permet donc de lutter contre les dommages collatéraux qu’engendrent son système d’irrigation goutte-à-goutte sur l’environnement et la biodiversité, et in fine de préserver notre souveraineté alimentaire. Le réseau de solidarité avec la Palestine a tout intérêt à faire cause commune avec le réseau pour la souveraineté alimentaire qui œuvre en Afrique-du-Nord.
Les deux secteurs de la surveillance et de l’agriculture ne sont pas dissociés. En 2018, Netafim a lancé NetBeat, une plate-forme de gestion intelligente de l'irrigation qui permet aux agriculteurs de surveiller, d'analyser et de contrôler les systèmes d'irrigation à distance sur une plate-forme en boucle fermée, générant des stratégies d'irrigation quotidiennes personnalisées et fournissant des données en temps réel. Elle est commercialisée comme étant « le premier système d'irrigation avec un cerveau ». Le « cerveau » du système a été développé par mPrest Systems, un fournisseur mondial, basé en Israël, de logiciels de surveillance, de contrôle et d'analyse de méga-données (Big data). mPrest Systems, une filiale en propriété partielle (40%) de la société militaire israélienne Rafael Advanced Defense Systems, a développé le logiciel de commande et de contrôle du système de défense antimissile israélien, Dôme de Fer (Iron Dome), souvent appelé le « cerveau » du Dôme de Fer.
Dôme de Fer est un système de défense antimissile à courte portée développé par Rafael en collaboration avec Elta et mPrest, déployé le long de la bande de Gaza assiégée et dans le Golan syrien occupé. Le logiciel de commande et de contrôle du Dôme de Fer est le produit phare de mPrest et la source d'une grande partie de son succès commercial selon sa brochure publicitaire : « Nous avons gagné nos marques sur le marché de la défense très exigeant, après avoir développé certaines des applications de commande et de contrôle les plus avancées et sophistiquées de l'industrie, y compris le logiciel derrière le système de défense antimissile Dôme de Fer de renommée mondiale. Nous nous sommes vite rendu compte que cette technologie éprouvée était exactement ce dont les marchés IIoT [Internet industriel des objets] avaient besoin pour la transformation numérique. Au cours de la dernière décennie, nous nous sommes concentrés sur la transformation de ces capacités IIoT de défense intelligentes et en temps réel en applications commerciales. » [13] NetBeat est l'une de ces applications commerciales.
Edward Saïd écrivait en octobre 1993, dans son article prémonitoire « Oslo : le jour d’après » : « En réalité, avec ses institutions bien développées, ses relations étroites avec les USA et son économie agressive, Israël incorporera économiquement les territoires [occupés], les maintenant dans un état de dépendance permanente. Et puis Israël se tournera vers le monde arabe élargi, faisant usage des bénéfices politiques de l’accord palestinien comme d’un tremplin pour s’introduire dans les marchés arabes, qu’il exploitera aussi et dominera probablement. » Nous y sommes !
Ahmed Abbes, mathématicien, directeur de recherche à Paris, coordinateur de la Campagne tunisienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (TACBI) et secrétaire de l’Association française des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (AURDIP).
[1] Ce plan, conçu par le général israélien Yigal Allon en juin 1967, à l'époque où il était Vice-Premier ministre, prévoyait l'annexion de Jérusalem et de ses environs, de la vallée du Jourdain et de l'Est de la Cisjordanie par Israël.
[2] Tanya Reinhart, « Bantoustans : l'ère des zones jaunes », Haaretz, 27 mai 1994.
[3] Tanya Reinhart, « Détruire la Palestine ou comment terminer la guerre de 1948 », traduit en français par Eric Hazan, La Fabrique (2002) ; publié originellement en anglais sous le titre « Israel/Palestine: How to End the War of 1948 », Seven Stories Press (2002).
[4] Mahmoud Darwich, « L’exil recommencé », textes traduit de l’arabe par Élias Sanbar, publié par Actes Sud / Sindbad
[5] Michael Laskier, « Israel and the Maghreb at the height of the Arab-Israeli conflict-1950s-1970s » Middle East Review of International Affairs, Vol. 4, No. 2 (June 2000) p. 96-108 ; et « Israel and the Maghreb : from Statehood to Oslo » University Press of Florida, 2004.
[6] American overseas interests act: private witnesses (Part II), Hearings before the Committee on International Relations, House of Representatives, one hundred fourth Congress, first session on H.R. 1561, April 4 and 5 1995.
[7] Mohamed Abbou, « Ben Ali-Sharon », <tunis-news.net>, 28 janvier 2005.
[8] Larbi Chouikha et Vincent Geisser, « La fin d'un tabou : enjeux autour de la succession du président et dégradation du climat social », L’Année du Maghreb, VI | 2010, 375-413.
[9] Larbi Chouikha et Éric Gobe, « La Tunisie entre la « révolte du bassin minier de Gafsa » et l’échéance électorale de 2009 », L’Année du Maghreb, V | 2009, 387-420.
[10] Ce cadre conceptuel permet de comprendre comment les aspects des identités sociales et politiques d'une personne pourraient interférer pour créer des modes uniques de discrimination et de privilège.
[11] « Quand les monocultures envahissent les périmètres irrigués et menacent la biodiversité tunisienne », Groupe de Travail sur la Souveraineté Alimentaire (GTSA), Tunisie, RITIMO, 8 juin 2020
[12] « Stratégie Nationale sur le Changement Climatique, République Tunisienne », Ministère de l’environnement et la coopération allemande au développement GIZ, octobre 2012.
[13] Voir rapport de l’ONG israélienne WhoProfits « Agribusiness as Usual Agricultural Technology and the Israeli Occupation » publié en janvier 2020.
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